T’en as mangé une ? C’est le métier qui rentre...
Christophe Larcheron, mon premier coach.
Avant chaque combat, c’est toujours la même chose. Je me dis que c’est la dernière fois que je monte sur le ring, que cela implique trop de stress, que je ne suis même pas payé, et puis à quoi bon prendre des coups ?
« Comment te sens-tu aujourd’hui Vincent ? » me demande mon coach Simone.
« Comme avant un combat… » lui réponds-je.
Comprenez : affreusement mal. Généralement, la tension d’un bon pugiliste est très basse (12/50mmHg), mais lors de la traditionnelle visite médicale d’avant match, la tension monte à 14/70mmHg.
« C’est limite mais vous pouvez boxer », dit le médecin. J’aurais presque préféré ne pas pouvoir. Je connais l’adversaire, il est coriace, plus expérimenté, et avec un meilleur ratio victoire-défaite. Rien ne sera aisé.
Les années passées dans le milieu des arts martiaux nous ont fait comprendre qu’il existe deux types de boxeurs. Ceux qui ont une appétence prononcée pour le combat et la confrontation : ils aiment la boxe comme une sorte de défouloir, sont heureux de pratiquer ce sport tant à l’entrainement qu’en compétition. Puis (et c’est notre cas), les caractères plus diplomates, plus consensuels : ils utilisent le Noble Art comme un galvanisant : l’entrainement et l’avant prestation sont une corvée, et le son de la cloche une délivrance. De manière contradictoire, la boxe peut être à la fois le sport qu’on apprécie et hait le plus. On citera ici le champion de MMA (Mixed Martial Arts) francophone Georges Saint-Pierre :
Je suis un meilleur athlète que combattant. En vérité, je déteste me battre. La raison pour laquelle j’ai combattu, ce n’est pas parce que j’aime me battre dans une cage. Je me suis battu pour cinq choses. Il y avait beaucoup d’argent à faire, la gloire, le respect, il y avait aussi les femmes quand j’étais plus jeune, pour être honnête c’est ça qui nous motivait. Et puis il y a la liberté.
La pratique de la boxe anglaise ne laisse en général personne indifférent. Vos familles vous mettront une pression terrible pour vous faire cesser ce « sport de brute ». Comment ne pas les comprendre ? Bien qu’ils aient en mémoire les images télévisées des épopées de Mohamed Ali et Mike Tyson, ils se souviennent aussi des gueules cassées, parfois des « morts sur le ring ». On peinera à leurs expliquer que, si le risque zéro n’existe pas plus en sport de combat qu’ailleurs, la boxe amateur connaît heureusement peu de blessures graves.
D’ailleurs, votre médecin vous encouragera certainement à pratiquer le Noble Art ! Là encore on ne peut leur donner tort. Peut-on citer une activité qui entraîne en vous autant la force appliquée (F) que la vitesse (v) dont le produit donne le calcul de la puissance (P), c’est-à-dire l’explosivité (P = F x v). On améliore aussi tant l’agilité que la mobilité, servant à la coordination entre le haut et le bas du corps (en boxe anglaise, les jambes sont paradoxalement plus utiles que les bras). On endurcit sa résistance physique, mais surtout mentale, sa gestion du stress et de l’adrénaline (oserait-on dire la « peur » ?). On parfait son « coup d’œil », ses réflexes. On accroit son intelligence stratégique et situationnelle, parfois la ruse. Et enfin, on développe un rythme cardio-vasculaire capable de supporter de hautes intensités, à travers des exercices dit « fractionnés » en course-à-pieds, au sac-de-frappe et à la corde-à-sauter. Il n’est pas rare que le corps médical qualifie la boxe comme « le meilleur des sports », sans doute parce qu’avec les sports de lutte et d’endurance, c’est l’un des plus durs.
Il est malheureux que les associations de boxe anglaise connaissent une forte rotation de leurs adhérents. Rares sont les personnes, surtout à l’âge adulte, qui peuvent trouver le temps et l’énergie de se consacrer pleinement au Noble Art.
Dur n’est pas seulement le combat, mais surtout l’avant-combat. Il faut compter 2 voire 3 années d’apprentissage, non sans blessures, désillusions et remises en question. À la suite d’un « sparring dur », dans lequel on s’est trouvé malmené, on rentre souvent chez soi avec un sentiment mêlé entre humiliation et humilité. Deux mots trouvant leurs racines dans le latin humus (« sol »). Par étymologie, la boxe nous invite à garder les pieds sur terre.
Le dernier mois précédant l’échéance revêt une ambiance particulière. L’entraînement s’intensifie, en boxe comme en course pour s’assurer d’ « avoir le cardio », à mesure qu’on se nourrit et boit moins pour « faire le poids ». Résultat, aucun boxeur n’arrive à « 100 % » le jour de son combat, on a toujours quelques bobos. Une articulation du pouce fragilisée, une cheville partiellement foulée, une côte endommagée. Là est le quotidien des boxeurs amateurs. C’est paradoxalement durant cette préparation qu’on se trouve dans la plus grande forme physique (à défaut de la plus grande sérénité mentale…). Les poumons sont oxygénés, le cœur prêt à supporter un rythme intense, les muscles sont au maximum de leurs capacités d’endurance. On a veillé à avoir un sommeil récupérateur, ainsi qu’à effectuer des exercices d’étirement et de mobilité pour éviter toutes blessures articulaires ou musculaires. On a suivi une diète en mangeant en petite quantité des produits riches en protéines (œufs, viandes maigres, poissons gras) et en fibres (légumes rouges et verts). Ces éléments combinés ont le pouvoir de décupler votre énergie, et nous recommandons à chacun de suivre ce régime si possible à base de produit frais (cf. le dossier consacré aux questions de santé dans HUIS CLOS #4).
Cette diète, ou « sèche », reste supportable dans les combats amateurs (perdre 5-6 kilos en quelques semaines). Elle peut être dévastatrice chez les pratiquants d’arts martiaux mixtes ou boxeurs professionnels qui perdent jusqu’à 15 kilos en une journée à travers un protocole de weight cutting, déshydrations extrêmes via des saunas portatifs et des serviettes chaudes. Ces ustensiles sont en général fournis par les organisations, qui sont donc complices des séquelles parfois irréversibles infligées aux sportifs sur les reins, le cœur et le cerveau.
Les minutes qui précèdent le combat sont les pires. On a en général aperçu son adversaire qu’on tente de jauger : sa taille, mais surtout son allonge, ainsi que son volume physique et son potentiel d’agressivité. On se rassure en pensant qu’il a sûrement le même niveau de stress que nous.
« Il ne faut pas avoir peur, Vincent ! » me dit Benoît, directeur de la salle et ancien vice-champion d’Europe des poids légers. Dissertons sur cette phrase ! Peut-on vraiment éviter la peur avant un combat ? Il a moult raisons de la ressentir. Une potentielle défaite, et si elle advient, le fait de devoir l’assumer devant ses proches. Aussi la peur de prendre un coup fatal pouvant nous entraîner « hors de combat » (« knock-out »). Mike Tyson, avoua lui-même que :
Même si j'ai peur de combattre, je le fais […] J’ai toujours pensé que l’adversité et la nervosité m’avaient catapulté vers le succès. Si je n’avais pas ces sentiments, je ne me lancerais pas dans ce combat. Je dois avoir ces sentiments pour me battre. Sans eux, je n’y participerais jamais, a-t-il développé. Plus le combat se rapproche, moins je deviens nerveux, car c’est la réalité. Et en réalité, je suis invincible.
Si l’un des champions les plus agressifs qu’il fut, avoue avoir « une peur de l’évènement », on comprend qu’à notre échelle de boxeur amateur, l’anxiété avant un combat est normale, peut-être même saine.
D’aucuns nous conseilleront d’« avoir confiance », de « croire en soi ». Facile à dire, puisque la véritable foi en sa personne se bâtit, à défaut d’émerger par magie. Il faut surtout veiller à ne pas ressentir une confiante feinte, qui ferait baisser notre vigilance, et nous couterait assurément la victoire. Ainsi, la juste équation repose dans le fait de ni se laisser aller à la peur tétanisante, ni berner par une confiance excessive.
Une scène du film Alexandre (Oliver Stone, 2004) a marqué notre enfance, lorsque le général passe en revue ses troupes avant la bataille de Gaugamèles :
Conquer your fear, and I promise you, you will conquer death.
Dominez votre peur et je vous promets que vous serez plus fort que la mort.
Car la peur ne disparaît jamais vraiment : au pire on vit avec, au mieux on l’exploite ! Cela ne signifie pas que le combat sera victorieux, mais simplement qu’on est déterminé à remporter la victoire. L’adversaire peut nous vaincre, mais il se doit de passer un sale quart d’heure.
Un autre Alexandre, Astier de son nom, définit dans une entrevue la confiance en soi comme suit :
Si vous n’avez pas confiance en vous, c’est la seule chose qui vous fait descendre. La seule chose qui différencie les gens “qui font” et ceux “qui ne font pas”, c’est juste une impression de légitimité […] J’ai la position de quelqu’un qui fabrique, que ce soit bon ou ce ne soit pas bon, ça me regarde pas. Que les gens aiment ou qu’ils n’aiment pas, ça me regarde pas. Je dois faire ce que je dois faire. Je dois le faire avec tout ce que je peux y mettre. Je dois le faire en ne ménageant pas mes efforts. Je dois le faire du mieux que je puis. Mais si je fais du mieux que je puis, si ça ne vous va pas, c’est pas grave.
Nous avons eu la chance d’avoir à plusieurs occasions dans notre coin des boxeurs professionnels. Ils ont le mérite d’inspirer confiance aux combattants, car leurs conseils raisonnent efficacement : « Tes bras sont fatigués, tes jambes vont te sauver », ce vers presqu’alexandrin est de Ferdy Zongo, que j’ai côtoyé plusieurs années en France. Jacopo “Jack” Lusci, présent à mon dernier combat me dit lors d’un entrainement : « Premièrement, veille à prendre le moins de coups possible. Secondement, laisse tes couilles aux vestiaires, tout se joue dans la tête ». Ces deux athlètes, qui ne se connaissent pas, m’ont offert le même conseil, à peu près en ces mots : si on peut rapporter la victoire à la maison simplement avec un « jab bras avant », on le fait. « Poce cose, ma cose buone », répète souvent Jack. La confiance réside peut-être dans la sérénité et le relâchement, physique et mental.
On s’échauffe avec son entraîneur en répétant ses dernières gammes avant de faire son « entrée sur scène ». Les galas de boxe anglaise, surtout en France, sont d’un bon niveau d’organisation, ce sont des shows avec des DJs, speakers, sponsors et instruments pyrotechniques. Deux à trois cents personnes sont dans le public, ce qui n’enlève rien à la pression. Si vous prenez un K.O., tout le monde le verra, voir le filmera pour l’immortaliser sur les réseaux. Nous regrettons qu’en France trop peu de personnes « non-initiées » assistent à ces événements sportifs, car on est souvent admiratif de la technicité de certains boxeurs, ne serait-ce que dans la cadre de quart-de-finale d’une coupe départementale.
À la manière des catcheurs américains, on atteint le ring sur une musique qu’on a choisie et qui se doit d’apporter ce surplus de motivation, avant d’être « enfermé » entre les cordes. Faire marche arrière à ce moment-là serait déshonorant… Mais nos instincts primaires sont rappelés à l’ordre : on n’est jamais aussi débrouillard que lorsqu’on est au pied du mur. L’arbitre rappelle les règles essentielles, les boxeurs se « checkent » et retournent dans leurs coins respectifs. C’est parti pour 3 reprises de 3 minutes lancées par le son de la cloche. Et là, comme par magie :
On ressent une décharge d’adrénaline, littéralement son goût et son odeur, ce qui a le mérite de ne pas faire ressentir la douleur des coups reçus.
On atteint un niveau de concentration rarement atteint : corps et esprit sont focalisés sur l’objectif de la victoire.
On évolue dans une sorte de bulle, on entend les encouragements ou sifflets de la foule, mais difficilement les conseils du coin.
Le rythme cardiaque s’emballe.
C’est l’expérience pratique de son évolution dans un « état de stress », on ne peut plus différent d’un « état normal ». Là encore, deux types de boxeurs : les « champions de la salle », qui ont des performances excellentes à l’entraînement, mais peuvent être diminués par la pression de l’évènement. Puis, les « dopés à l’adrénaline », étant rarement les meilleurs de leurs clubs, mais qui, galvanisés par le public et l’enjeu de la victoire, peuvent réaliser des performances surprenantes. En boxe, la seule vérité reste celle du combat. C’est une guerre à qui aura le plus d’énergie et/ou d’intelligence.
Trois minutes par reprise, c’est très long. Le temps passe et on veut absolument marquer des points. Il y a une part de bluff, puisqu’on encaisse les coups, en faisant mine de garder son calme. On essaie de faire de notre mieux, c’est la débrouille. Une minute de repos entre les rounds, c’est trop court. Dans le coin, à défaut d’entendre les conseils des entraîneurs, on les écoute. Dur de s’en souvenir, encore plus de les appliquer. Dernière reprise, on a soif, les muscles ne fonctionnent plus. En regardant l’adversaire dans les yeux, je crois comprendre que lui aussi a hâte que cela se finisse. Les officiels tapent avec un marteau en bois pour annoncer les 10 ultimes secondes. On arrache de soi un fond d’énergie pour finir fort et ne laisser aucun doute aux arbitres.
La cloche qui sonne l’arrêt du combat est un soulagement, et les boxeurs, par réflexe, se donnent l’accolade et s’échangent du respect. Je retourne vers le coin, et vois le sourire des coachs. C’est déjà une petite victoire. Le verdict ? Peu importe, du moment qu’on a donné le meilleur de soi, on est heureux.
Après chaque combat, c’est toujours la même chose. Je me dis que je n’arrêterai pas ce sport, car cela en vaut, malgré tout, la peine.
Photographies de Julien Guillermin, qu’on peut retrouver sur son compte Instagram : @jg_photo_pro, et d’Alessandro Tantillo : @aleh2much_ / @raw2_much.