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Sur Monsieur Romain Gary de Kerwin Spire

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23 mai 2023

Cette note porte sur les deux premiers volumes d’un projet de trilogie consacrée à Romain Gary, à l’écrivain et à l’homme. Monsieur Romain Gary. Consul général de France. 1919 Outpost Drive Los Angeles 28, California et Monsieur Romain Gary. Écrivain-Réalisateur. 108 rue du Bac Paris VIIe Babylone 32-93. Le long détail de ces titres topologiques indique de quelle période chaque livre traite, dans la vie démultipliée de ce caméléon sans cesse changeant que fut Gary. Ces ouvrages sont l’occasion de revenir au détail de l’existence d’un auteur auquel sa gloire nuit peut-être un peu : il est un astre que cache son propre scintillement.

 

Face à pareil monument, prenons les choses par un angle personnel. Gary est pour moi une figure familière depuis l’enfance : les volumes Folio jaunis de La promesse de l’aube et d’Éducation européenne détonnaient seuls deux parmi les rayonnages reliés plein cuir de la bibliothèque familiale, et se trouvaient à hauteur d’œil de petit d’homme — et ce décalage formel dit bien, au fond, la place de Gary dans nos lettres, sa part de modernité propre, et son statut, aussi, de “petit maître” (il y a en France toujours un Musset à l’envers d’un Hugo…), ainsi qu’il se percevait lui-même à côté d’un “géant” comme Malraux, par exemple. C’est pourtant par l’autre bout que j’ai pénétré l’univers délicat de cet homme délicat, en lisant les livres d’Émile Ajar : La vie devant soi, Gros-câlin et L’angoisse du roi Salomon figurent parmi mes premiers émerveillements de lecteur. De Gary-Gary je n’ai lu qu’un fort petit volume, Les trésors de la mer rouge. Un préjugé tendu vers la sophistication m’a ensuite tenu éloigné de cet auteur, jugé, certainement à tort, un peu trop “facile”. C’est par sa vie que je reviens à lui, hommage soit rendu à l’auteur de ces deux évocations, plutôt que strictes biographies, Kerwin Spire.

 

Ses livres arrivent à rendre compte de manière aérée d’une vie qu’on pourrait dire dense. Dense d’événements, dense de titres et de fonctions, dense d’identités. On connaît les grandes lignes de la vie de Gary : cosmopolite par son enfance, dans l’Empire russe puis en Pologne, Français à son adolescence, à Nice, aviateur durant la Seconde Guerre mondiale, Compagnon de la Libération, diplomate, cinéaste, époux de Jean Seberg — une autre incarnation iconique d’une certaine modernité, d’une évolution des mœurs certaine —, suicidé, enfin. Aucun rapport avec Jean Seberg seront les derniers mots tracés de sa main.

 

Gary était un homme triste, et les tourments de son intériorité sont explorés avec justesse dans chacun de ces deux livres. On y comprend l’articulation de ses thèmes, le foisonnement de sa créativité, la solitude qu’elle induit et implique. Si sa fonction de Consul général de France à Los Angeles, qu’il prend en 1956, l’en-thousiasme d’abord, elle le lassera vite, et l’auteur s’enferme de plus en plus longtemps pour se vouer à son œuvre, loin du tumulte mondain. Deux événements le ramènent au monde : le retour du général de Gaulle au pouvoir, et la rencontre de la jeune actrice qui deviendra la mère de son fils.

 

Le général de Gaulle figure régulièrement dans les deux livres, par une lettre qu’il écrit à Gary pour le remercier d’un envoi de son livre et en donner commentaire, ou par des scènes officielles, comme tel dîner à l’Élysée, où le président de la République évoque les Beatles (!), telle réception où Brigitte Bardot apparaît vêtue comme un hussard. C’est aussi une atmosphère d’époque que les livres rendent très bien : l’Amérique des années 50, la superficialité d’Hollywood, le climat lourd de la guerre d’Algérie puis, dans le second volume, le renouvellement d’un certain souffle français, imprimé à toute la société par la volonté d’un grand dirigeant.

 

Romain Gary revient dans la Radioscopie enregistrée avec Jacques Chancel en 1970 sur son rapport au général de Gaulle. C’est son grand homme. Sa façon d’en parler est touchante. Le simple fait que de Gaulle écrive lui-même son adresse sur les lettres qu’il lui envoie l’émeut. De la place du gaullisme dans la vie de Gary, Kerwin Spire rend compte parfaitement : Romain Gary était un gaulliste inconditionnel, mais absolument en marge. Il refusera de participer à la machine politique, et il est ironique, en un sens, qu’il ait démissionné de la Carrière peu après le retour au pouvoir de son idole. Cette démission lui fera manquer de peu la parfaite réalisation de la prophétie de sa mère, Mina Owczyńska, qui lui répétait lorsqu’il était enfant : Tu seras un héros de guerre, mon fils. Tu seras un grand écrivain, mon fils. Tu seras ambassadeur de France ! Il s’en est fallu de peu.

 

Et si la vie de Romain Gary était plus intéressante que ses livres ? Je ne sais pas. Il faudra que je les lise.

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Kerwin Spire, Monsieur Romain Gary, Gallimard (2021 & 2023).

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