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Sur Les Partisans

de Dominique Bona

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10 juillet 2023

Le géographe et l’historien. C’est ainsi que l’on pourrait qualifier l’oncle et le neveu, Joseph Kessel (1898-1979) et Maurice Druon (1918-2009), pour marquer ce qui fut la ligne de force de leurs œuvres respectives, et, ainsi, leurs différences en tant qu’auteurs, aussi bien qu’en tant qu’hommes. Le sous-titre du livre que l’académicienne Dominique Bona a consacré à ces deux auteurs fameux du XXème siècle indique son projet de biographies croisées, et l’angle intimiste qu’elle a donné à son ouvrage : Kessel et Druon, une histoire de famille.

 

C’est d’ailleurs presque un reportage, qui court sur plus de cinq-cents pages, et l’écriture de Dominique Bona a ce quelque chose de journalistique, de contemporain, qu’on peut désapprouver en certaines de ses tournures mais qui a le mérite d’entraîner le lecteur à sa suite, directement dans son sujet, son double sujet, la vie accomplie de ces deux hommes.

 

Ce qui caractérise le plus Kessel : la solitude ; Druon : l’ambition. Le premier s’est créé lui-même, à la force de son existence et de ses aventures, là où le second semble bien plus campé dans la sienne, bourgeoisement : privilège d’être un héritier, en somme, et de marcher sur des bandes défrichées par un autre, défrichées dans la douleur de ses démons. On sait Kessel grand buveur, grand fumeur — grand fauve.

 

Chez Kessel, ce n’est d’ailleurs pas tant de l’aventure que de l’exploration, celle des vastes ailleurs d’un globe qui n’était pas encore quadrillé dans ses moindres confins, où l’on pouvait encore, au fil d’un voyage, s’émerveiller de l’altérité des peuples et de la variété du monde : l’Argentine natale, l’Irlande de cœur, Israël dont il recevra le tout premier visa, et l’Afghanistan surtout, qui lui fera faire son livre le plus célèbre peut-être, en tout cas celui qui lui aura demandé le plus de temps pour en accoucher : Les Cavaliers (1967).

 

Les Partisans donne bien à sentir les deux positions antinomiques pour un écrivain, illustrées par l’oncle et le neveu. Ce dernier incarne la maîtrise sur son œuvre, son élaboration, sa réception, et le personnage public de l’auteur : c’est Druon avec son Atelier, et on trouve quelques témoignages amusants du fonctionnement de cette petite usine à livres, extraits du Journal de Matthieu Galey. Là contre, Kessel incarne l’auteur tiraillé par une nécessité d’écrire, devant à tout prix délivrer sur le papier ce qu’il a entrevu, qu’il est allé chercher dans le monde aussi bien qu’au plus profond de lui-même. La fougue animale, le magma de la nécessité, le trop-plein de choses à dire. À l’opposé, le calme méthodique d’une statuaire ciselée et pensée en chacun de ses détails, et puisant d’abord et avant tout dans le temps : l’aristocratie des Grandes Familles (1948-1951) ou la fin tragique des derniers des Capétiens. Mais l’oncle et le neveu ont en commun des “trucs”, des astuces et des techniques de professionnels de l’écriture : de l’art de rendre ses personnages vivants, de bien tourner des dialogues, de composer les scènes… Cette dimension de feuilletonnistes, qu’avait inventée le XIXème siècle et que le XXème connut encore, survit sans doute de nos jours d’abord et avant tout chez les scénaristes de séries télévisées. Du reste, Druon, avec ses Rois maudits (1955-1977), peut être considéré comme un de leurs précurseurs — et l’auteur de Game of Thrones, la fameuse série avec des dragons et des eunuques, ne manque pas de rappeler ce qu’il doit aux Rois maudits. Notons ici notre préférence pour l’adaptation de 1972, avec Jean Piat en Robert d’Artois : « Petites gens, petits moyens ! »

 

Assurément, ni l’oncle ni le neveu ne furent de “petites gens” ! Vies complexes, par les origines géographiques et familiales, marquées du sceau du courage guerrier. Kessel s’engage comme aviateur lors de la Première Guerre mondiale, par amour de la France — un peu comme fera Gary lors de la Seconde. Druon et lui, avec sa maîtresse la chanteuse Germaine Sablon, quittent la France occupée par les Pyrénées, pour rejoindre la France libre. Les Partisans s’ouvrent sur cette traversée nocturne, à l’hiver 1942. Suivra le détail de leur vie à Londres, de leur participation par la plume à l’effort de guerre, qui culminera par la rédaction ensemble du Chant des Partisans, l’hymne de la Résistance, qu’on croit ne pouvoir entendre que murmuré… Ami, entends-tu… ?

 

Toute prise de parti dans une période aussi troublée est un pari. Joseph Kessel, “Jef”, et Maurice Druon auront gagné le leur, et dans la France d’après-guerre jouiront du statut enviable de héros et de grands créateurs, statut qui culminera par leur réception à l’Académie française. Kessel y entre en 1962 et il y reçoit Druon, qui y entre en 1966, et en deviendra Secrétaire perpétuel en 1985. Entre’temps, il aura été Ministre des Affaires culturelles de Georges Pompidou, de 1973 à 1974, mais aura manqué l’ambassade de Rome, que cet ami de l’Antiquité aurait adoré occuper. Dans l’ensemble, il a franchi dans l’ordre les étapes du cursus honorum de la République française. Kessel, plus indépendant des pesanteurs mondaines, s’en sera toute sa vie tenu éloigné, avec une certaine ironie, même. Je finirai en indiquant le livre de lui que je préfère, à savoir son Mermoz (1938), ou l’hommage d’un explorateur à un aventurier.

 

À un journaliste qui lui demandait pourquoi il avait choisi d’habiter l’abbaye de Faise, Druon répond : « Parce qu’on y a beaucoup prié. » (p. 513) Si l’on me demandait pourquoi avoir choisi de lire ce livre, paraphrasant, je dirais : Parce qu’on y a beaucoup vécu.

 

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Dominique Bona, Les Partisans. Kessel et Druon, une histoire de famille, Gallimard (2023), 522 pages.

Maurice Druon & Joseph Kessel au théâtre du Gymnase, Paris, septembre 1953. Photo © Studio Lipnitzki / Roger-Viollet (détail).

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