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Sur Le musée de la jeunesse

d’Aurélien Bellanger

26 juin 2024

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             J’ai visité récemment le Musée d’Égyptologie de Turin, où je n’étais jamais allé, alors que cette ville si belle m’est si familière. Et, parcourant les salles qui donnent à voir tant de témoignages de la jeunesse de l’humanité, et de la civilisation, je me faisais la réflexion suivante : c’est la représentation de l’homme qui caractérise l’humanité. Tant de figures, tant de trépassés ; tant de fonctions et de statuts, tous réduits maintenant à la chair qui les porta — l’être figuré, de l’esquisse la plus schématique à la plus sophistiquée des stylisations. L’amie qui m’accompagnait me dit que c’était là un propos humaniste. Je n’en sais rien, il me semble seulement vrai.

 

            Picturalement, la représentation des êtres humains, de leurs corps et de leurs visages, n’est pas vraiment dans mon registre. Elle me semble hors d’atteinte, trop fragile, trop complexe à atteindre. En photographie, le seul art visuel que je sache un peu pratiquer, je ne sais faire que des décors vides. La représentation de l’humain, je la laisse à d’autres. Du reste ils s’en chargent très bien.

 

            Néanmoins, à l’écrit, ce serait plutôt ma pente naturelle que de décrire un être — moi, et c’est du journal —, ou des êtres — et ce sont les personnages qui le peuplent. Narration fidèle au cours du monde, c’est le principe. C’est ce à quoi s’est, pour la première fois dans son œuvre déjà si heureusement abondante, adonné Aurélien Bellanger avec son Musée de la jeunesse. Et voilà un auteur si prolifique qui dévoile enfin un peu de lui-même — saluons sa pudeur, à l’ère de l’autofiction systématique : si l’on commençait à bien savoir ce qui constituait l’auteur Bellanger d’un point de vue intellectuel, il nous manquait les détails intimes et biographiques de son développement. Les voilà.

 

            Le prétexte de la collection “Ma nuit au musée” des Éditions Stock est d’enfermer pour une nuit un écrivain dans un musée, et de tirer de cette expérience un petit livre. Bellanger se laissa enfermer dans le département de peinture française du Louvre, et passa une nuit en compagnie de Poussin, dans les deux salles consacrées à l’œuvre de ce maître.

 

            Néanmoins, du peintre, l’écrivain parle fort peu — et il m’expliquait après m’avoir remis un exemplaire abîmé par l’auteur, contre quoi je lui donnai un HUIS CLOS #4, que son éditeur était bien embêté qu’il soit si peu question de Nicolas Poussin (1594-1665) dans un livre supposément à lui consacré.

 

            À part les titres des toiles du plus italien des peintres français, qui scandent le bref texte (le livre fait cent-cinquante pages), à part l’évocation du Chef d’œuvre inconnu (1831) de Balzac, qui narre la formation de Poussin, à part un passage rapide sur le rapport de Bellanger à Poussin, celui-là ne parle que peu de celui-ci. À la place, il parle de lui — de sa jeunesse.

            Il tisse le lien du souvenir à partir des reproductions de tableaux qu’adolescent et jeune étudiant, il accrocha dans ses chambres. Partant de là, il embraye vers la veine de son propre passé. Si un tableau meurt en rejoignant les collections nationales, est-ce qu’un souvenir survit en rejoignant les pages d’un livre ? C’est à cette croyance que Bellanger nous invite.

 

            « C’est avec ce genre de question que je suis entré au Louvre avec un lit de camp. »

 

            Poussin apparaît dès l’abord comme le contraire de l’auteur dans la posture qu’il se donne : Poussin est le peintre de la seule maturité, on ne lui connaît pas de jeunesse. Bellanger fantasme de greffer sa propre vie sur ce canevas : d’avoir été toujours-déjà artiste, par-delà les galères du débutant, dont il déploie le catalogue. Surtout, il assume enfin ce qui est la vérité de son œuvre — et dont il m’a plusieurs fois parlé —, l’art comme stratégie mondaine, la littérature comme véhicule de succès.

 

            Il assume le refus du salariat, son impossibilité, et brode sur la semblance entre le destin du jeune Poussin et le sien, poussés qu’ils étaient vers l’art comme salut. Mais Bellanger en vient vite à la description de ce que fut la jeunesse étudiante du début des années 2000 — celle qu’on peut voir dans Ensemble, c’est tout (2007) de Claude Berri. Il relate des bohèmes qui n’avaient pas changé dix ans plus tard (quand je les connus moi-même) : appartements, vêtements et jeunes femmes partagés…

 

            Aurélien Bellanger, par l’honnêteté sincère dont il fait preuve dans Le musée de la jeunesse, se révèle encore davantage pour ce qu’il est pour notre génération : le prince de la jeunesse.

 

           Concluons sur cette idée, que j’ai tenté d’illustrer dans Un sentiment électrique, la nouvelle que j’ai donnée à HUIS CLOS #5 : Nos souvenirs sont le musée de nous-mêmes.

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Aurélien Bellanger, Le musée de la jeunesse, Éditions Stock (2024).

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