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Anton Wilhelm Amo : Lumière Noire de Driss Gharmoul, 

Redécouverte d’un miracle

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7 août 2023

Cité récemment par Antoine Lilti dans sa Leçon inaugurale au Collège de France, l’ouvrage de Driss Gharmoul est l’un des premiers en France à rendre compte de l’importance des travaux d’Anton Wilhelm Amo en tant que philosophe des Lumières. Ce philosophe est méconnu en France. Il n’a pas fait l’objet de recherches aussi importantes que celles consacrées à ses collègues contemporains : seulement un article de Christine Damis en 2002, et un ouvrage biographique présenté par Yoporeka Some en 2016. En 2021, deux ouvrages s’intéressèrent un peu plus au parcours d’Anton Wilhelm Amo et à son approche philosophique : une étude de Daniel Dauvois, publiée aux éditions Présence africaine, et, donc, un ouvrage de Driss Gharmoul, publié aux éditions l’Harmattan. 


C’est de cet ouvrage que je veux parler aujourd’hui, car sa lecture permet d’en apprendre un peu plus sur l’existence d’un philosophe miraculé, tout en remettant en question notre rapport aux philosophes des Lumières, et leur portée aujourd’hui. Driss Gharmoul explore dans son essai tout le cheminement biographique qui a permis à Anton Wilhelm Amo d’être un philosophe engagé dans les idées novatrices de son époque, mais également de constituer un pont entre les savoirs et les croyances africaines et européennes. Bien que la portée ait été restreinte à son époque, on la comprend mieux aujourd'hui. En m’appuyant sur la lecture de cet ouvrage fondateur pour comprendre la pensée d’Anton Wilhelm Amo, je souhaite toutefois prendre des libertés. Il n’est pas question ici de procéder à une recension de son ouvrage, que je vous invite par ailleurs à lire, mais plutôt de s’appuyer sur son texte pour nous permettre de réfléchir. La fin du livre est d’ailleurs très pertinente sur ce point : Driss Gharmoul nous invite à appréhender la philosophie d’Anton Wilhelm Amo comme étant l’occasion pour nous de comprendre certaines grandes questions actuelles sur les savoirs, les échanges, et sur l’usage contemporain, politiquement ambitieux, d’une philosophie apparemment datée.

 

L’existence et la vie d’Anton Wilhelm Amo relève du miracle. Il est né vers 1703 dans la région d’Axim au Ghana, et serait mort vers 1753 également au Ghana. Entretemps, il a été fait esclave par la Compagnie néerlandaise des Indes Occidentales dès l’âge de 4 ans, a ensuite été offert en cadeau au duc de Brunswick-Wolfenbüttel : Anton Ulrich. Par la suite, il a été baptisé, a reçu une éducation dès le plus jeune âge, et a été licencié en droit puis a soutenu une thèse intitulée De Humanae mentis apatheia (que l’on peut traduire par De l’Apathie de l’âme humaine). C’est le premier africain noir à être docteur d’une université européenne. Ce miracle ne s’explique pas vraiment : Anton Wilhelm Amo aurait très bien pu être esclave toute sa vie, c’est ce qui se faisait à l’époque. En ce sens, Driss Gharmoul relève qu’Anton Wilhelm Amo demeure « Africain d’origine », mais qu’il a également été « Européen d’adoption ». 

 

Ce miracle ne s’arrête pas dans la trajectoire originale et — uniquement dans une certaine mesure très relative, car se voir arraché enfant aux siens pour vivre dans un autre continent ne peut être considéré comme un destin heureux — bienheureuse, puisqu’elle permet par la suite à Anton Wilhelm Amo de devenir un philosophe qui se préoccupe d’abord d’une méthode, celle du « bien philosopher », et s’inscrit dans les questions philosophiques de son époque. Du côté des Lumières, Anton Wilhelm Amo en est un précurseur : il défend l’idée relative de l’âme, sans la porter au confluent des actions des individus, contrairement à la pensée mécaniste. Amo distingue, avant Emmanuel Kant dans sa Critique de la Raison Pure (1781), les impressions sensorielles de la raison. Il explique que la raison est un jugement complémentaire aux impressions, mais que ces deux mécanismes sont complémentaires. 

 

L’ouvrage de Driss Gharmoul nous permet de découvrir un philosophe qui est trop méconnu, alors que son parcours et ses idées s’inscrivent dans l’influence que les Lumières ont apporté en Europe. Pour Driss Gharmoul, c’est pourtant l’occasion de « réconcilier les Hommes avec l’universel porté par les Lumières ». Toute la fin de l’ouvrage porte sur l’actualité de la pensée de AWA, s’agissant notamment de sa pensée politique. Pour cela, Driss Gharmoul propose de voir en la pensée amiste un pont entre l’Europe et l’Afrique, où des idées complémentaires existent. Grâce au renouvellement de pensée d’Anton Wilhelm Amo, un dialogue « dé-émotionnalisé » peut alors exister. En définitive, je vous invite à découvrir l’ouvrage du jeune Driss Gharmoul, plein de sens, de découverte, et qui n’est pas un texte strictement philosophique, mais bien doté d’une portée politique indispensable, aujourd'hui, à la construction d’une pensée juste et pertinente. Ce livre fait du bien. 

 

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Gharmoul, D. (2021). Anton Wilhelm Amo: lumière noire: pour un universalisme réconcilié. Anton Wilhelm Amo, 1-144.

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