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The Substance

23 octobre 2024

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Le vert fluo de la substance signe le parti pris du film : un hommage aux cinéma de genre et séries B, servi par une réalisation nette et des effets impeccables. Les références ne manquent pas : on retrouvera la moquette à motifs et les toilettes rutilantes de The Shining (1980), le final sanglant de Carrie (1976), les monstres de chair de The Thing (1982), les cadres anxiogènes dans la salle de bain de Psycho (1960), et d’autres encore qui n’échapperont pas au cinéphile. Sue (Margaret Qualley) et Elisabeth (Demi Moore) font une paire exquise dans ce film d’horreur véritablement réussi, tant dans sa conformité aux codes du genre que dans le traitement du prétexte qu’il se donne : la substance, fournie par un dealer dont on devine la blouse blanche, permet à qui se l’injecte d’extraire – littéralement – de son corps une créature mâture, ici Sue, prête à la vie, et présentée comme une version améliorée de son hôte – les critères de cette amélioration sont implicites, traduits à l’écran dans les qualités simples de la beauté et de la jeunesse, visiblement suffisantes pour Elisabeth. Le mode d’emploi minimal joint à la potion, suite de feuilles cartonnées aux allures de meme, ajoute une contrainte de taille : Sue et Elisabeth doivent coexister, la première prélevant chez la seconde une dose quotidienne de fluide céphalo-rachidien, et toutes deux se relayent, par intervalles d’une semaine, pour que l’une vive sa vie dans son petit monde tandis que l’autre sommeille dans une remise. Nos deux dames peinent à se dépatouiller de cette situation désirée mais ingérable sans formation préalable, et le film suit à sa manière leur rapide effondrement.

La figure masculine du film, incarnée par Dennis Quaid, hypertrophiée jusqu’à l’absurde, ne veut plus même convaincre du caractère féministe de l’œuvre, féminisme que la réalisatrice enterre sans peut-être l’admettre : le spectateur est invité à jouir, scène après scène, dans l’exposition méticuleuse de la plastique de Margaret Qualley –  et invoquer l’effet de contraste produit par le basculement progressif dans le monstrueux ne suffira pas à justifier l’insistance avec laquelle la perfection corporelle de l’actrice est exhibée. De son côté, l’actrice Moore paraît utiliser son rôle pour purger le démon de sa propre image, maintenue impeccable sous la contrainte de son milieu, et blessée il y a quelques années par une chirurgie du visage ratée – réparation dûment effectuée depuis. Le corps vieillissant, bien que maintenu en très bon état par les services d’entretien du corps auxquels peut accéder une actrice hollywoodienne à succès, est filmé sous tous les angles qu’une caméra peut atteindre.

Le message du film, son sens, sa symbolique, ainsi soit-il convenu de les nommer, ne sont pas à chercher dans les poncifs. Le diktat de la mode et de la beauté, la ritournelle contemporaine du corps, la relation mère-fille turbulente, l’exploitation capitalistique de l’homme par l’homme : le film n’apportera aucun élément original ou pertinent à ces dossiers s’il les prend pour ses thèmes. Le sujet, à mon sens le plus élémentaire du film et qui fait tout son intérêt, est dans la mise en scène d’une expérience qu’il faut concevoir au plus près de la matérialité concrète de ce qui nous est montré : la coexistence symbiotique de deux créatures humaines, l’une sortie de l’autre, unies dans une relation d’interdépendance physique et psychique, une relation critique puisque la survie est un enjeu immédiat et permanent. La formule « You are one », répétée tout au long du film, renvoie moins à l’identité commune bien que fracturée de Sue et d’Elisabeth, qu’à l’unité symbiotique qu’elles forment et qui les dépasse. Cette expérience, sortie de l’œuvre particulière et généralisée, a des implications anthropologiques et écologiques de première importance. Le film instaure d’ailleurs très bien cette ambiance d’abstraction expérimentale, d’expérience de pensée confinée dans l’esprit du laborantin, dont nous ne savons strictement rien : il faudra simplement se demander pourquoi la souris de l’expérience est une vedette de télévision aux capacités cognitives limitées, plutôt qu’un individus doté d’un équipement psychologique et intellectuel de bon niveau – ce serait comme mettre en scène le mythe de Prométhée avec un influenceur dubaïote descendant le feu divin depuis l’héliport du Burj al Arab – : au jeu de la survie dans le contexte d’une coexistence symbiotique exigeante et critique, nos amies Sue et Elisabeth auront tenu correctement la barque deux ou trois semaines, avant de faire naufrage quelques mois plus tard.

Implication anthropologique, car l’expérience du binôme symbiotique humain s’oppose au théorème de la solitude ordinaire de l’homme. Il ne serait pas inutile de se replonger dans un passage des Bulles (1998) de Peter Sloterdijk. Dans un chapitre intitulé « L’accompagnateur originel » (et qui valut à l’auteur quelques moqueries), Sloterdijk propose des réflexions originales sur le statut du placenta dans la culture : l’occident généralement le rejette comme un déchet, tandis que d’autres cultures lui réservent un traitement chargé de valeurs symboliques cruciales pour la compréhension du rapport à soi, à l’autre et à son monde. La disparition de ce double nourricier, de ce frère non advenu, éteint à la naissance par la venue au monde du sujet, donne un écho particulier au tragique du film : Sue, comme contrainte par une immaturité mentale chronique, se trouve incapable de maintenir en vie le corps d’Elisabeth, réduit à l’état de simple organe externalisé, comme l’est le placenta pour le fœtus. Implication écologique, car le défi de l’existence symbiotique entre un corps quelconque et une entité humaine, son impossibilité de principe, devrait-on craindre de reconnaître, se trouve à l’extrémité comme au commencement de toute pensée écologique. C’est à ce titre que The Substance serait à intercaler entre des films comme Alien (1989) et The Matrix (1999) : tandis qu’Alien se construit autour d’une exagération biologique entre un organisme hostile et parasite qui pénètre le corps humain pour y prélever ses nutriments, et porter à maturité ses œufs avant une éclosion grandiloquente, The Matrix se place dans l’exagération technicienne avec la mise en scène d’une hypermachine, probablement d’origine humaine, puisant son énergie dans des corps endormis au fond d’une réalité simulée – la réalité de Sue ne correspond-elle pas à la virtualité d’Elisabeth ? Alien, The Matrix, The Substance n’auraient bien en vue qu’un seul thème de fond : l’exclusion tragique du phénomène humain hors du domaine des relations symbiotiques. Une piste de réflexion rapidement esquissée qui voudra convaincre le spectateur de la richesse thématique de The Substance, en plus de sa réussite cinématographique.

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Coralie Fargeat,

The Substance,

2024,

©Working Title Films
©A Good Story
©Universal Pictures

sortie en salle le 6 novembre prochain.

Prix du scénario du Festival de Cannes 2024.

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