Ici, les vallons sont bas et serrés, on les croirait taillés dans le carton plume par un maquettiste qui, après avoir achevé son chef d’œuvre, la Suisse normande ou la Toscane, serait venu donner son ultime paysage à la terre la plus éloignée, sur ce qui n’aurait dû être, selon les premiers plans d’un dieu archaïque, qu’une plaine. A la surface de ce tissu froissé sont posés par millions des petits cailloux blancs ; il faut s’en approcher pour les voir se mouvoir et découvrir la laine qui les recouvre. C’est ainsi qu’on s’imagine la Nouvelle-Zélande, et c’est ainsi qu’on la trouve. Cette contrée a peut-être été rendue inoffensive à force de trop subir la violence des éléments qui s’abattent sur elle. Les vents giflent son littoral, les pluies remplissent les creux de ses vallons comme des vases, le soleil, en cause un trou dans l’atmosphère, brûle ce qui ne s’en protège pas, et sous la terre, c’est toute une masse d’eau bouillante pressurisée qui s’agite – une fissure mal colmatée dans le sol, un sursaut dans une strate colérique, et nous serions comme les œufs dans la casserole. A s’aventurer plus loin dans les terres, on pénètre très vite ce qui s’apparente à une jungle ; mais de la jungle sans bête féroce, sans moustique, sans même l’humidité caractéristique de ces biomes ; on pourrait presque décider d’y dormir à la belle étoile sans craindre de perdre la vie ; de la jungle bien rangée, aussi, puisqu’on y a installé des kilomètres et kilomètres d’escaliers en bois, qui foncent dans toutes les directions vers le plein cœur de la nature. On trouve également, en Nouvelle-Zélande, des gens. Des gens de tous les types, ainsi que l’ethnic mix, une statistique publiée par le gouvernement le montre : il y a tant de ceci, tant de cela, et tout ce petit monde habite là, plutôt riche et familier de la civilité élémentaire, donc plutôt paisible, sous la houlette d’une élite qu’on suppose descendre des Anglais. Des Anglais qui auraient perdu beaucoup de l’Angleterre, à commencer par leur accent : c’est à croire que le bel accent anglais, sans même penser à celui de l’upper class, est un bateau qui sombre chaque fois qu’il quitte le port de Londres. Il reste tout de même un peu de cette vieille Angleterre : jamais de ma vie je n’avais vu, au beau milieu d’une grande ville, un immense jardin de roses, sans clôture, sans surveillance, et surtout parfaitement intact, sans qu'aucun bouton ne manque à sa tige. On oublie vite cette réminiscence quand on rejoint le cœur moderne de la ville. On y retrouve, comme partout mais en miniature, la signature du concept d’« Occident » : son petit lot de tours ridicules associées à des grandes multinationales déjà un peu vieillottes, son architecture sans goût ni ordre, et sa Queen Street où se promènent beaucoup d’humains difficiles à comprendre. Et quand on marche dans la ville, mieux vaut être prudent : le Kiwi, ainsi que le citoyen néo-zélandais se désigne, a une fascination tout américaine pour la voiture et le pétrole. Il aime sa voiture, lorsqu’il n’en a pas plusieurs, et il veut surtout qu’on respecte le fait qu’il la conduise : il ne s’arrête jamais – et ce jamais n’est pas un presque jamais qu’on exagère, mais un vrai et authentique jamais – pour laisser le piéton traverser la rue. Et nous ne sommes pas prêts de marcher les yeux fermés, car des voitures, le port qui fait face à notre appartement en reçoit des milliers chaque semaine. Les rouliers se suivent et se ressemblent, déversant partout dans l’île des Japonaises et des Tesla, et on se demande qui a bien pu priver de leur laine ces moutons électriques.
Mais nous n’avons encore vu qu’une petite partie de l’île du nord, comme nous n’avons vu qu’une petite partie de la population qui l’habite ; nous en poursuivons l’exploration et, plus tard dans l’année, nous visiterons l'île du sud.